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Le don manuel de parts sociales : oui, c’est possible !

Henry Royal. Janvier 2016
Revue française de comptabilité. gestion de patrimoine du chef entreprise


1. Le don manuel
1°. Les conditions du don manuel
2°. Une évolution jurisprudentielle favorable au don manuel

2. Le don manuel de parts sociales
1°. La jurisprudence
2°. La doctrine
3°. Réponses aux opposants au don manuel de parts sociales

3. Le pacte adjoint au don manuel

4. Fiscalité du don manuel

Résumé. Le don manuel de parts sociales est autorisé par le ministère de la justice et indirectement par la jurisprudence.

Un pacte adjoint peut préciser les conditions dans lesquelles le don manuel a été réalisé : clause de réserve d’usufruit, de donation-partage…

Au plan fiscal, le don manuel présente un avantage qui peut être décisif par rapport à la donation notariée : le moment de payer les droits.

Le don manuel est source d’économies substantielles pour les clients et de recettes pour le conseil.

La plupart des professionnels affirme que le don manuel de parts sociales est impossible et que la donation doit être réalisée par un notaire. Pourquoi en serait-il ainsi ?

1. Le don manuel

1°. Les conditions du don manuel

Comme toute donation [1], le don manuel doit remplir plusieurs conditions : l’intention libérale et l’appauvrissement irrévocable du donataire, l’acceptation et l’enrichissement des donataires [2]. La loi précise le moment du transfert de la propriété : le consentement entre les parties pour les parts sociales [3], l'inscription au compte-titres du donataire pour les actions et plus généralement pour les titres financiers [4].

1- La donation peut revêtir quatre formes : manuelle, notariée, indirecte, déguisée.

2- C. civ., art. 894 : « La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte ». Cass. crim., 11 févr. 2003, n° 02-85866 : « Le don manuel requiert le consentement du donateur, l'intention réciproque de faire et recevoir une libéralité, l'intention de se dessaisir irrévocablement et une tradition réelle qui doit avoir lieu du vivant du donateur et une possession non équivoque ».

3- C. civ., art. 938 (De la forme des donations entre vifs) : « La donation dûment acceptée sera parfaite par le seul consentement des parties ; et la propriété des objets donnés sera transférée au donataire, sans qu’il soit besoin d’autre tradition ».

4- C. mon. et fin., art. 211-17, al. 1.

Si le Code général des impôts traite du don manuel [5], le Code civil ne le mentionne pas directement. Il y fait allusion à l’article 265, qui vise « les donations de biens présents qu’elle que soit leur forme ».

Le don manuel est un contrat réel [6] qui ne peut pas être réalisé par un acte sous seing privé, à peine de nullité absolue [7]. C’est pourquoi l’article 931 du Code civil selon lequel « Tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires » ne le concerne pas [8] et ne le prohibe pas.

Si le don manuel ne peut être réalisé par écrit, il peut faire l’objet d’un pacte adjoint postérieur à la donation, acte sous seing privé qui précise les modalités et les conditions de la donation.

5- CGI, art. 757.

6- Cass. civ. 1, 24 mai 1976, n° 75-10678.

7- C. civ., art. 1339 : « Le donateur ne peut réparer par aucun acte confirmatif les vices d'une donation entre vifs, nulle en la forme ; il faut qu'elle soit refaite en la forme légale ». Cass. civ. 1, 15 juill. 1993, n° 91-21980.

8- « Les dons manuels ne sont susceptibles d'aucune forme. Il n'y a là d'autres règles que la tradition » : Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires, Tome XII, Rapport de Jaubert à l'Assemblée générale, p. 598, 1827.

2°. Une évolution jurisprudentielle favorable au don manuel

La jurisprudence n’a cessé d’étendre le champ d’application du don manuel, tant à la nature des biens qu’à leur mode de transmission.

Le don manuel est une institution autonome d'origine coutumière qui constituait la donation de droit commun avant la donation notariée issue de l’Ordonnance de 1731 [9]. Il est le prolongement du droit romain « la traditio » devenu « tradition réelle » [10], terme remplacé dans le Code civil par « la remise de la chose » depuis la loi du 12 mai 2009 [11].

La tradition réelle consistait en une remise d’une chose mobilière, de la main du donateur à celle du donataire qui en devenait propriétaire ; le transfert de propriété était réalisé sans formalité particulière. La tradition réelle était exclusivement matérielle ; les biens meubles incorporels [12], non susceptibles de remise matérielle, étaient exclus du don manuel [13]. Ainsi, seuls les biens matériels pouvaient faire l’objet d’un don manuel : bijoux, meubles meublants, titres au porteur [14]…

9- Le législateur a créé l’acte notarié pour protéger le donateur contre une générosité excessive.

10- Cass. civ. 1, 11 juill. 1960 : « Le don manuel n’a d’existence que par la tradition réelle que fait le donateur de la chose donnée, effectuée dans des conditions telles qu’elle assure la dépossession de celui-ci et assure l’irrévocabilité de la donation définitive et irrévocable de la donation ». Et aussi Cass. civ. 1, 19 nov. 1996, n° 95-10242

11- Loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures.

12- Un bien incorporel est un bien qui ne peut pas être saisie par la main de l’homme, ni par la vue, ni par le toucher : sommes d’argent, valeurs mobilières dématérialisées, parts sociales, propriété industrielle, propriété littéraire et artistique, fonds de commerce… Une chose immatérielle est sans matière. Une action est incorporelle et matérielle (inscription en compte) ; une part sociale est incorporelle et immatérielle, mais elle peut être rendue matérielle par une inscription sur le registre ou par un certificat.

13- Ch. civ., 4 mai 1836 : « "Qu’en fait de meubles, la possession vaut titres" le législateur n’a évidemment entendu parler que des meubles susceptibles de la tradition manuelle, c’est-à-dire des meubles purement meubles, des meubles corporels ». CA Paris, 20 mars 2008 : Juris-Data n° 365656.

14- Ch. civ., 11 août 1880.

La dématérialisation des biens a entraîné celle de la tradition ; le don manuel peut aujourd’hui être réalisé sans remise de la main à la main et la jurisprudence a étendu le champ d’application du don manuel à certains biens incorporels :
- aux créances de sommes d’argent, que ce soit par chèque provisionné [15], ou par virement de compte à compte [16] ;
- aux comptes courants d’associés [17] ;
- aux valeurs mobilières inscrites en compte [18] ;
- à un portefeuille de courtage en assurances [19]…

15- Cass. civ. 1, 29 avril 1968. Cass. civ. 1, 5 juill. 1973, n° 72-10930… Cass. civ. 1, 4 févr. 2015, n° 13-19921.

16- Cass. civ 1, 6 mars 1996, n° 94-14222. Cass. civ. 12 juill. 1966, D. 1966, 614 : « Le virement de fonds permet de réaliser un don manuel que rendent irrévocable le dessaisissement du donneur d’ordre de l’inscription au compte du bénéficiaire lorsqu’il accepte la libéralité ». Cass. civ. 1, 4 nov. 1981, n° 80-11749. Cass. com., 27 oct. 1993, n° 91-13946. Cass. civ. 1, 30 mars 1999, n° 97-11948.

17- CA Marseille, 4ème ch., 23 oct. 2012, n° 09MA04522.

18- Cass. com., 21 janv. 2004, n° 00-14211 : « Les valeurs mobilières peuvent faire l'objet d'un don manuel par un simple virement du donateur au nom du donataire ». Il n’y a pas de définition officielle des valeurs mobilières. Selon le dictionnaire Vernimmen : « Une valeur mobilière est un titre financier négociable, interchangeable et fongible qui peut être coté en bourse ». Les actions sont des valeurs mobilières, pas les parts sociales puisqu’elles ne sont pas négociables.

19- Cass. civ. 1, 3 févr. 2004, n° 02-14102. Un portefeuille de courtage en assurances est une créance (Cass. civ. 1, 5 févr. 2009, n° 08-10230).

De surcroît, pour réaliser un don manuel et transférer la propriété, il n’est plus nécessaire de remettre immédiatement le bien [20]. Pour le droit romain et notre droit ancien, la remise de la chose réalisait le transfert de la propriété ; possession et propriété étaient confondues [21]. Aujourd’hui, elles sont dissociées ; la distinction entre possession et propriété est clairement établie [22] et ce n’est plus la remise du bien qui marque le transfert de propriété, mais le consentement des parties [23], avec deux exceptions :
- les meubles corporels, pour lesquels la possession vaut présomption de propriété [24] ;
- les titres financiers, dont les actions, qui se transmettent par inscription en compte [25].

Ainsi, le transfert de propriété des parts sociales a lieu dès le consentement des parties, sans qu’un écrit soit nécessaire [26] ainsi que l’exige le don manuel. Celui des actions a lieu lors de l’inscription des titres au compte du donataire ; cette inscription en compte n’est pas considérée par la jurisprudence comme un écrit au sens de la donation notariée de l’article 931 du Code civil. Ceci est une démonstration supplémentaire de l’évolution favorable au don manuel.

20- Cass. civ. 1, 10 oct. 2012, n° 10-28363 : « Constitue une tradition [un don manuel] tout acte […] marquant le transfert définitif de la propriété, sans remise immédiate de la chose donnée ».

21- Ch. civ., 11 août 1880 : « La tradition, lorsqu'elle confère au nouveau possesseur la propriété des titres, lui attribue nécessairement en même temps les droits qui y sont attachés ».

22- Cass. civ. 1, 10 oct. 2012, n° 10-28363 : « Constitue une tradition [un don manuel] tout acte […] marquant le transfert définitif de la propriété, sans remise immédiate de la chose donnée ».

23- C. civ., art. 938 (Des donations entre vifs, 13 mai 1803) : « La donation dûment acceptée sera parfaite par le seul consentement des parties ; et la propriété des objets donnés sera transférée au donataire, sans qu'il soit besoin d'autre tradition ».
C. civ., art. 1583 (De la vente, 16 mars 1804), al. 1 : « Elle [la vente] est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé ».

24- C. civ., art. 2276, al. 1 : « En fait de meubles, la possession vaut titre ». Cet article s’applique aux meubles corporels, sauf entre époux séparés de biens (C. civ. 1, 8 oct. 2014, n° 13-22938) ; il ne s’applique pas aux meubles incorporels (Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-18165).

25- C. mon. et fin., art. L 211-17, al. 1 : « Le transfert de propriété de titres financiers résulte de l'inscription de ces titres au compte-titres de l'acquéreur ». Titres financiers : titres de capital émis par les sociétés par actions, titres de créances à l’exception des effets de commerce et des bons de caisse, parts ou actions d’organismes de placement collectifs (C. mon. et fin., art. L 211-1).

26- Cass. civ., 9 août 1887, D. 1888, 1, p. 133. Cass. com., 21 janv. 2004, n° 00-14211.

2. Le don manuel de parts sociales

La loi n’impose pas l’intervention du notaire pour le don d’actions et de parts sociales. Le recours au notaire est obligatoire lorsque la donation est réalisée par écrit, ainsi que pour la donation des biens soumis à des formalités spéciales de publicité de transfert de propriété [27] : immeubles, fonds de commerce, navires, bateaux et avions [28].

Le don manuel d’actions est consacré par plusieurs jurisprudences [29] : les valeurs mobilières peuvent faire l'objet d'un don manuel par un simple virement du donateur au nom du donataire. 

La jurisprudence ne s’est pas prononcée sur le don manuel des parts sociales, mais elle l’autorise indirectement. De plus, la doctrine, dont le ministère de la justice et l’administration fiscale, l’autorise.

27- C. civ., art. 701-1.

28- D. n° 55-22 du 4 janv. 1955 portant réforme de la publicité foncière : « Tout acte sujet à publicité dans un bureau des hypothèques doit être dressé en la forme authentique ».

29- Cass. com., 27 oct. 1993, n° 91-13946. Cass. com., 19 mai 1998, n° 96-16252 et n° 96-16253. Cass. com., 21 janv. 2004, n° 00-14211

1°. La jurisprudence

La jurisprudence autorise indirectement le don manuel de parts sociales. En effet, les parts sociales sont des créances [30] et les créances peuvent être données [31], même en l’absence d’écrit [32] ou de titre [33]. La jurisprudence valide le don manuel de créances de sommes d’argent, de compte-courant, de portefeuille de courtage d’assurances [34]…

30- Cass. com., 27 avril 2011, n° 10-17778 : « Les parts sociales, qui ont la nature juridique de créances, s'éteignent par le paiement, l'annulation des titres n'étant que la prise en compte scripturale du remboursement de la créance ».

31- Cass. com., 31 mars 1998, n° 96-12897 et Cass. com., 31 nov. 2006, n° 05-11648 : « la cession de créances peut être faite à titre gratuit ».

32- Cass. civ., 9 août 1887, D. 1888, 1, p. 133. Cass. com., 21 janv. 2004, n° 00-14211 : « La preuve de l'existence ou de l'absence du don manuel échappe au formalisme de l'article 931 du Code civil [l’écrit] et peut être rapportée par tous moyens ».

33- CA Angers, 24 juin 2008 : Juris-Data n° 2008-370823.

34- Voir supra. Pour les sommes d’argent : Cass. civ. 1, 6 mars 1996, n° 94-14222... Pour le compte-courant : CA Marseille, 4ème ch., 23 oct. 2012, n° 09MA04522. Pour le portefeuille de courtage d’assurances : Cass. civ. 1, 3 févr. 2004, n° 02-14102.

Les cessions de créances sont toutes soumises aux mêmes formalités, notamment la constatation de la cession par écrit. Il ne faut pas confondre constatation et réalisation (Voir article : La transmission de parts sociales et d'actions : modalités pratiques). Certes, le don manuel ne peut pas être réalisé par écrit, mais il peut et doit être constaté par écrit après sa réalisation. Ce n’est pas la constatation de la cession qui marque le transfert de propriété, mais le consentement des parties.

Ainsi, pourquoi les parts sociales ne pourraient-elles pas faire l’objet d’un don manuel ?

Tous les droits incorporels peuvent être cédés, sauf ceux interdits par la loi [35]. Les conventions étant libres [36] dès lors qu’elles ne sont pas contraires à la loi et aux bonnes mœurs [37], le don manuel de parts sociales est donc licite.

35- CA Paris, 12 déc. 1934 : DHM35.89 : « Tous les droits incorporels peuvent faire l’objet d’un transport, pourvu qu’ils ne soient pas hors du commerce ou que l’aliénation n’en ait pas été prohibée par quelque loi particulière ».

36- C. civ., art. 1134.

37- C. civ., art. 6 et C. civ., art. 1133.

2°. La doctrine

La doctrine la plus autorisée, à savoir le Ministère de la Justice, par la voie du Garde des Sceaux [38] et celle du CCRCS [39], autorise le don manuel de parts sociales.

Synthèse de la question au Garde des Sceaux et de sa réponse
Réponse ministérielle du 13 mai 1996, Assemblée Nationale, n° 33840

Question : Les donations de droits sociaux lorsqu'elles sont réalisées sans emprunter la forme notariée donnent lieu à de fréquents contentieux. Quelles mesures le Garde des Sceaux envisage de prendre afin de faire référence aux garanties de sécurité juridique de l’acte notarié ?

Réponse du Garde des Sceaux : Le don manuel « est applicable à la transmission d'entreprise sans qu'il y ait lieu de prévoir de nouvelles règles spécifiques en ce domaine, et, spécialement, s'agissant de la transmission de droits sociaux », sans distinction entre actions et parts sociales.

L’administration fiscale, qui cependant n’est pas juge de la légalité des conventions qu’elle enregistre, l’autorise également dans le bulletin officiel des impôts concernant les droits d’enregistrement [40] et la prévoit sur son formulaire de déclaration de don manuel [41].

38- Rép. min. n° 33840, JOAN Q, 13 mai 1996.

39- CCRCS (Comité de coordination du registre du commerce et des sociétés), avis n° 2012-039, 25 oct. 2012 : « Le dépôt en annexe au RCS d’une déclaration de don manuel de parts de société… ».

40- BOI-ENR-DMTG-20-30-20-20, n° 220 : « Ainsi, l’exonération est applicable aux donations de parts ou actions de sociétés effectuées sous forme de dons manuels ».

41- Formulaire n° 2735 : « Dons de parts ou actions d’une société représentatives de fonds artisanaux, de fonds de commerce, de fonds agricoles, de clientèle d’une entreprise individuelle ».

3°. Réponses aux opposants au don manuel de parts sociales

Préambule. Une part sociale est une créance. Une créance peut être donnée, en l’absence d’écrit ou de titre.

- Revue Fiduciaire. Dons manuels et donations indirectes. Mensuel RF. Hors-série RF 2013-5 – Transmission d’entreprise (12/2013), n° 2412 : « La transmission à titre gratuit des parts sociales ne peut s'effectuer que par acte authentique, car les parts sociales ne peuvent pas être représentées par des titres négociables ».

Réponse. Il est vrai, les parts sociales ne peuvent pas être représentées par des titres négociables. Mais, la jurisprudence n’a jamais utilisé le critère de la négociabilité pour motiver ses décisions concernant le don manuel. Sans donner de définition du terme négociable, la loi précise seulement qu’une action est négociable et qu’une part sociale ne l’est pas ; ce qui veut simplement dire qu’une part sociale n’est pas une action.

Les règles qui régissent la transmission des actions sont précisées par le Code monétaire et financier [42] ; celles des parts sociales par le Code civil [43] ; il n’y a pas lieu de les comparer. La plupart des créances sont transmissibles par don manuel ; à ce jour, la jurisprudence n’a pas étendu cette possibilité à leur ensemble.

42- C. mon. et fin., art. L 211-13 à L 211-19. La cession d’actions est réalisée dès l’inscription sur le compte-titres du donataire.

43- C. civ., art. 1689 à 1701. La cession de parts sociales est réalisée dès le consentement du donateur et du donataire.

 - Anonyme : « Un don manuel ne peut pas porter sur des parts sociales, car la cession doit être constatée par écrit. Or, le don manuel ne peut être réalisé par écrit.

Réponse. En effet, la cession de parts relève du régime de la cession de créances et celle-ci doit être constatée par écrit [44]. Mais, la loi et la jurisprudence distinguent d’une part la réalisation de la donation, c’est-à-dire le transfert de propriété au profit du donataire, et d’autre part la constatation de la donation [45]. Constater n’est pas réaliser. L’écrit n’est exigé que pour constater la cession rendue effective par le transfert de propriété [46]. La constatation constitue un mode de preuve de la réalité de la cession. L’absence d’écrit n’entraîne pas la nullité de la cession [47], celle-ci étant réalisée par le consentement des parties.

44- C. com., art. L 221-14, al. 1 (modifié par Ord. 2014-863 du 31 juill. 2014.) pour les parts de SNC et, sur renvoi des art. L 223-17 pour celles de SARL. C. civ., art. 1865 pour les parts de société civile. L’absence d’écrit n’entraîne pas la nullité de la cession (CA Versailles, 19 sept. 1996, 1ère ch. 1ère sect.)

45- La transmission des parts sociales et des actions comprend quatre étapes : la cession ; la constatation de la cession ; l’opposabilité de la cession ; l’enregistrement au service des impôts.

46- CA Paris, 18 juin 1996 : Dr. Sociétés 1996, comm. 188 ; Bull. Joly 1997, p. 28.

47- CA Versailles, 19 sept. 1996, 1ère ch. 1ère sect. Exception faite pour les cessions de parts de société civile entre époux (C. civ., art. 861, al. 4).

- 108ème congrès des notaires, « La transmission », Montpellier, 2012, p. 585, n° 3170 : « Il est impossible de procéder à des dons manuels de parts sociales. En effet, les parts sociales, représentatives du capital des sociétés de personnes ne peuvent être représentées par des titres négociables au sens du droit civil. Ainsi, les droits d’un associé de parts sociales ne peuvent ni être représentées par un titre matériel, ni être inscrites en comptes et transmissibles selon le formalisme simplifié du droit commercial. Les droits d’un associé résultent des statuts. Ces parts ne sont donc pas susceptibles de don manuel ».

Réponse. En effet, parce qu’elles ne sont pas des actions, mais des créances, les parts sociales ne peuvent être représentées par des titres négociables et elles ne sont pas transmissibles par inscription au compte du donataire. Les créances sont transmises dès le consentement des parties [48], le donateur et le donataire, et la jurisprudence précise que la transmission peut être réalisée même en l’absence de titre.

Rien ne s’oppose à ce que les parts sociales soient représentées par un titre matériel. Ce peut être utile pour aménager la preuve de propriété, bien que le donataire bénéficie d'une présomption et qu’à ce titre il n'a pas à faire la preuve de ce don par un écrit [49]. Par exemple, la société peut remettre à l’associé un « certificat représentatif de parts non négociables » ou tenir un registre des associés ; pour la société civile, ces possibilités doivent être prévues dans les statuts [50].

48- C. civ., art. 938.

49- Cass. civ. 1, 4 déc. 2013, n° 12-27964.

50- D. n° 78-704, 3 juill. 1978, art. 34 et 51.

3. Le pacte adjoint au don manuel

Le pacte adjoint au don manuel [51], ou pacte de reconnaissance de don manuel, est un acte qui a pour vocation d’éclairer sur la nature gratuite du transfert, sur l’intention libérale qui a animé le donateur et les conditions du don verbalement réalisé. Il est nécessairement établi postérieurement à la réalisation du don manuel ; il est donc rédigé au temps passé composé. Il s’agit d’un acte de reconnaissance de don manuel et non d’un acte de donation sous seing privé, prohibé.

Les possibilités de clauses sont identiques à celles d’un acte notarié : imputation sur la réserve ou sur la quotité disponible ; exclusion du rapport civil de la donation [52] ; charges [53] ; inaliénabilité ; obligation d’emploi, d’apporter les biens donnés à une société ; exclusion de communauté ; réserve d’usufruit [54], de nue-propriété [55] ; réversion d’usufruit ; droit de retour conventionnel ; donation-partage [56] ; donation résiduelle ; donation à terme [57] ; engagement de conservation Dutreil ; paiement des droits par le donateur.

51- La jurisprudence reconnait la licéité des pactes adjoints au don manuel depuis la fin du XIXe siècle : Cass. req., 23 mai 1822. Cass. civ. 1., 11 août 1880. Cass. req., 22 déc. 1891. Cass. req., 28 oct. 1935. Cass. civ. 1, 20 juin 1961…

52- Cass. req., 19 oct. 1903. Cass. civ. 1, 18 mai 1994, n° 92-11829.

53- Cass. civ. 1, 20 juin 1961. Ch. civ., 11 août 1880. 

54- Cass. civ. 1, 11 août 1880. Cass. req., 6 févr. 1844. Cass. req. 28 oct. 1935…

55- Cass. civ. 1, 25 févr. 1997, n° 94-22022.

56- La jurisprudence autorise indirectement la donation-partage manuelle en annulant la donation-partage parce qu’elle est faite sous seing privé, et non parce qu’elle faite manuellement (Cass. civ. 1, 10 juin 1970, n° 69-10950 - Cass. civ. 1, 19 janv. 1971, n° 69-13537 - Cass. civ. 1, 4 mai 1976, n° 74-12526 - Cass. civ. 1, 6 déc. 1978, n° 77-12301 - Cass. civ. 1, 11 mars 1986, n° 85-10572. Cass. civ. 1, 4 nov. 2015, n° 14-23662, Moyens annexes : « Un acte sous seing privé de donation-partage est nul pour non-respect du formalisme prescrit par l’article 931 du Code civil qui exige un acte authentique »).

57- Possibilité de don manuel à terme : Cass. civ. 1, 10 oct. 2012, n° 10-28363 : don manuel « sans remise immédiate de la chose donnée ». Le donateur donne un bien, mais il en transfèrera la propriété au donataire à la date fixée dans l’acte. La donation à terme offre un avantage fiscal particulièrement attrayant : les droits de mutation à titre gratuit sont dus au moment de la donation ou de sa révélation ; ainsi, la plus-value entre la donation et le transfert de propriété au donataire n’est pas taxée aux droits de mutation (BOI-ENR-DG-20-20-70). Concernant l’ISF, le bien serait taxable dans le patrimoine du donataire (TGI Mulhouse, 10 nov. 2006)

Outre la qualité du conseil et celle de la rédaction de l’acte, le prix est un critère de choix entre don manuel et donation notariée [58]. Selon le tarif des notaires [59], le prix d’une donation hors honoraires de conseil est proportionnel au montant de la donation calculé sur la pleine propriété.

Frais de notaire selon le montant de la donation

Montant de la donation

Frais de notaire

%

100 000 €

1 854 €

1,85%

250 000 €

3 711 €

1,48%

500 000 €

6 804 €

1,36%

750 000 €

9 898 €

1,32%

1 000 000 €

12 992 €

1,30%

2 500 000 €

31 554 €

1,26%

5 000 000 €

62 492 €

1,25%

10 000 000 €

124 367 €

1,24%

58- L’acte notarié offre d’autres atouts : force probante, force exécutoire, présomption de sincérité.

59- D. n° 2016-230, 26 févr. 2016. Le notaire peut accorder des remises ; le taux de remise doit être appliqué à l'ensemble des clients, il ne peut pas être appliqué pour un client particulier.

4. Fiscalité du don manuel

Le don manuel est taxable aux droits de mutation à titre gratuit dans quatre situations [61] :
- le don manuel est déclaré ;
- il est constaté par une décision de justice ;
- il est révélé par le donataire à l’administration fiscale [62] ou porté à sa connaissance dans le cadre d’une nouvelle donation [63] (règle du « rappel fiscal »).

Les dons manuels révélés à l'administration fiscale doivent être déclarés ou enregistrés au service des impôts [64] dans le délai d’un mois qui suit la révélation.

La base taxable du don manuel est égale à la plus forte des deux sommes entre :
- sa valeur au jour de sa déclaration ou de son enregistrement ;
- sa valeur au jour de la donation.

Don manuel ou donation notariée, le calcul des droits de mutation à titre gratuit sont identiques.

Mais, le moment de perception des droits diffère. Pour une donation notariée, les droits sont perçus au moment de la donation. Pour un don manuel, les droits ne sont dus qu’au moment de son enregistrement par le donataire [65].

Lorsque le don manuel est supérieur à 15 000 €, le donataire qui révèle spontanément le don manuel peut opter pour la déclaration et l'acquittement des droits dans le délai d'un mois qui suit le décès du donateur [66].

61- CGI, art. 757. BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10.

62- La révélation peut être réalisée spontanément, ou en réponse à une demande de l’administration, ou au cours d’une procédure de contrôle ou contentieuse.

63- CGI, art. 784.

64- Formulaire « Déclaration de don manuel » n° 2735.

65- Cette différence en faveur du don manuel est décisive dans certaines situations, par exemple lorsque le chef d’entreprise souhaite donner une partie de son entreprise (la donation efface la plus-value) avant de la faire vendre et qu’il n’a pas les liquidités pour régler les droits de mutation à titre gratuit. Le don manuel sera enregistré et les droits seront payés après la perception des liquidités issues de la vente.

66- CGI, art. 635 A. Formulaire « Révélation de don manuel d'une valeur supérieure à 15 000 € » n° 2734.

Bibliographie :

- Ouvrage collectif : « Don manuel », Actes pratiques et stratégies patrimoniale, Lexisnexis Jurisclasseur, oct. – nov. – déc. 2012.

- Ouvrage collectif : « La transmission : 108e Congrès des Notaires de France », Montpellier, 2012.

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